vendredi 5 décembre 2014
Rewind/retours...
Quand des lycéens du lycée Chopin de Nancy viennent voir Rewind, provisoirement, et en font une analyse très fine.
Un grand merci à leur enseignante, Anne Torloting...
Florilège:
"Le son , la musiqueest le miroir des émotions. " "Il donne à voir les dates, à l'envers".
"La vie ne comprend que par un retour en arrière, mais on ne la vit qu'en avant." (Kierkegaard)
"Pendant la confidence d'un des 3 enfants à leur mère, les 2 autres allaient en arrière-scène et jouaient avec les ampoules suspendues. Ou encore, ils déambulaient entre les gobelets qui devaient symboliser les couloirs de l'hôpital, voir les allées du cimetière qu'ils arpentraient bientôt."
"Rien n'est plus vivant qu'un souvenir" (F. G. Lorca)
Et puis encore :
FRANCFORT Agnès
601
Rewind, provisoirement Benoit Fourchard
Rewind, provisoirement est une spectacle de Benoit Fourchard. Théâtre et musique se mêlent dans cette œuvre à la temporalité originale qui raconte les dernières semaines d’une mère. Fanny, Fleur et Armand, ses enfants, dans d’ultimes entretiens osent enfin lui confesser différents éléments de leur enfance. C’est à travers ce jeu de dévoilement que nous découvrons les trois frères et sœurs (et la relation qui les unit) ainsi que d’autres membres de cette famille à un moment tout à fait particulier de son histoire. Le public est également invité à découvrir les discussions, parfois drôles, parfois graves, parfois émouvantes d’Armand, Fleur et Fanny dans l’univers particulier de l’hôpital. Un des intérêts de cette pièce est que, tout en étant centrée sur un décès elle évite le registre pathétique.
Rewind, provisoirementracontela mort d’une mère. Ses enfants sont réunis à l’hôpital pour l’accompagner durant ses derniers jours. Mais la chronologie est inversée puisque la mère meurt au début, et peut-être même un peu avant la pièce. Cette chronologie complexe et originale permet de structurer le spectacle et d’intéresserle spectateur. On assiste donc à un retour en arrière qui ne sera que éphémère (d’où le titre Rewind, provisoirement) puisque les mots de la fin sont les mêmes que ceux du début : des phrases adressées à une mourante (« On est là. Tous là. ») La musique, les lumières, la mise en scène permettent de montrer ce retour en arrière. Le texte oscille donc entre discussions entre les deux sœurs et le frère dans la salle d’attente de l’hôpital et derniers mots adressés à la mère. Il s’agit donc de dévoilements personnels grâce auxquels le public découvre la famille et l’enfance de Fanny, Fleur et Armand : mère alcoolique (est-ce la cause de sa mort ?), père presque violent, relation « incestuelle » des deux sœurs, préférences parentales, frayeur d’enfants, moments de complicité et repas de famille, où l’odieux Polpote se moque de façon très malsaine de la petite Fleur.
L’un des intérêts du texte se trouve dans la répartition de la parole : la mise en scène nous fait découvrir trois comédiens qui jouent les trois frères et sœurs mais qui interprètent également des rôles qu’on pourrait appeler « annexes » : médecin de l’hôpital, membre de la famille dont ils reprennent les attitudes quand ils décrivent les repas de leur enfance… Cette multiplication des rôles interprétés par un seul comédien rappelle Les jeunes. Mais contrairement à la pièce de David Lescot, les changements de personnages ne se voient pas par des modifications de costumes mais par la transformation de la voix (grave, rocailleuse, agressive pour Polpote par exemple) et l’utilisation de gestes caractéristiques : doigts croisés du médecin… Ajoutons que, lors des confessions d’un des enfants, les deux autres se placent de dos en fond de scène cour.
Ils sont donc censés être absents ce que la mise en scène représente par un simple demi-tour. Nous voyons ainsi alors la mise en place d’un phénomène de distanciation. La distanciation est un effet théâtral dont Bertolt Brecht est l’inventeur et qui consiste à créer une distance entre le personnage et le comédien (en évitant de mettre à place l’illusion de la réalité) et entre le personnage et le spectateur (en empêchant l’identification). On voit cette distanciation par exemple par l’absence de rideaux rouges : les comédiens arrivent à la vue du spectateur et se distingue donc d’une façon évidente de leur personnage. La chronologie permet également ce phénomène. Par ailleurs, le metteur en scène, par des éléments proleptiques (le baiser des deux sœurs qui laisse présager leur relation incestueuse) pousse le lecteur à s’interroger sur les personnages plutôt qu’à s’identifier à eux.
Remarquons que Rewind, provisoirement instaure un rapport salle-scène assez particulier parce que le spectateur, ne peut s’identifier à un des personnages puisqu’ils sont en perpétuelles mutations. Cependant la mise en scène permet au public de se familiariser peu à peu avec les personnalités présentes (les frères et sœurs) ou non (les parents) et de se sentir concerné par la pièce en mettant le spectateur à la place de la mère : quand un des enfants se dévoile à cette dernière, c’est vers le public qu’il se tourne, c’est à lui qu’il parle, c’est à lui qu’il révèle ses secrets.. Le spectateur se trouve ainsi sans cesse interpellé, les confessions des personnages ne se faisant donc pas vraiment à une mère mais, de façon plutôt paradoxale à trois-cent-cinquante inconnus. Ajoutons qu’un autre de principaux éléments relatifs, ici, à la distanciation ; l’absence de rideaux rouges, met public et comédiens à égalité. Enfin, le texte et la mise en scène, tout en parlant de la mort d’un proche évite le registre pathétique. On sourit, parfois on rit, on s’interroge, on est subtilement touchés mais on n’est pas amenés à pleurer face à un tel spectacle ce qui entraîne un rapport salle-scène tout à fait particulier.
Par ailleurs, les costumes de Rewind, provisoirement sont plutôt banals : vêtements du quotidien, jean, T-shirt, vestes… Les maquillages eux aussi reflètent la vie habituelle. Ces deux éléments permettent de montrer que les personnages sont frappés par le décès de leur proche en pleine routine mais c’est aussi un moyen de désacraliser la mort et de l’ancrer de le quotidien, ce qui va complètement dans le sens d’une des directives principales de la mise en scène : éviter leregistre pathétique. Ajoutons que le frère se distingue par un tenue, plus sombre et moins colorée, peut-être représentative des vêtements masculins communs mais peut-être aussi pour marquer un contraste avec ses deux sœurs. Notons enfin que Fanny, la sœur aînée porte les cheveux courts et foncés ce qui ce qui peut lui donner un air plus mûr par rapport à sa sœur qui porte de longs cheveux plus clairs. Il s’agit éventuellement du symbole du sentiment protecteur qu’éprouve Fleur face à cette sœur plus sage, sentiment qui a engendré, durant leur enfance une relation incestuelle.
Tout comme les costumes, la scénographie est sobre. Les deux musiciens sont placés à cour. On remarquent des fils électrique qui tombent du plafond, au bout desquels se trouvent des ampoules. Ils sont plus présents à cour et permettent, tout en les laissant globalement visible, de dissimuler quelque peu deux des comédiens quand le troisième interprète la confession d’un des frères et sœurs à la mère. Dévoilant ou non l’action, ces fils peuvent remplacés les fameux rideaux rouges, absent ici. Mettant néanmoins un bémol quant à l’utilisation des ampoules qui y sont accrochées : leur multitude aurait pu créer des ambiances très différentes mais, dans la pièce elles sont le plus souvent toutes allumées en même temps ou toutes éteintes en même temps. A l’avant-scène centre, nous observons des sièges typiques d’hôpitaux, une table basse et une machine à café, représentation réaliste d’une salle d’attente des urgences à un détail près : les gobelets en plastiques. Au début de la pièce, des dizaines de gobelets sont entassés : sur la machine à café, par terre, sur les sièges… Au fur et à mesure de l’intrigue, à chaque changement temporel (retour en arrière pour arriver aux jours précédents lamort ou même retour en enfance à travers les confessions), les personnages, dans un mouvement rythmé et automatique ordonnent ces gobelets jusqu’à créer un quadrillage sur le sol. Il s’agit peut-être de représenter le nombre de cafés avalés depuis que Fanny, Fleur et Armand se sont retrouvés dans cet hôpital à attendre, ou alors de créer des sortes d’allées, de couloirs typiques des cliniquespuisque la présence des verres oblige les comédiens à adopter des déplacements rectilignes. De plus, l’ordre misdans ces objets est peut-être également significatif de l’ordre mis dans les idées des trois frères et sœurs qui se débarrassent, en se confiant enfin à leur mère, de tout ce qui pourrait obséder ou décontenancer leur esprit. Enfin notons que Fanny, au début de la pièce, place un des sièges en avant-scène jardin, vers le public. Cet élément scénographique permet d’assimiler le public à la mère car, comme nous l’avons dit plus haut, c’est à lui que les personnages font leurs confidences.
Si la scénographie est simple, c’est sans doute car l’éclairage permet la création de plusieurs espaces différents : les ampoules tombant des fils créent une ambiance chaleureuse propice aux confidences tandis que l’utilisation du projecteur en douche d’une couleur froide rappelle les néons caractéristiques de l’impersonnalité presque glaciale des hôpitaux. Le contre-jour est également utilisé, et les ombres des fils électriques, projetés sur les comédiens rappellent alors des barreaux, comme si les personnages étaient claustrés dans cet hôpital, comme s’ils étaient enfermés face à leurs obligations et comme si la parole,l’aveu était le seul moyen de libération. Remarquons aussi que la lumière diminue au fur et à mesure des confidences ce qui peut symboliser le déclin progressif de la santé maternelle. La lumière est également et surtout utilisée pour représenter les retours en arrière qui amène l’action aux jours précédents la mort : clignotements, lumière forte, intense , très artificielle qui rappelle presque l’ambiance crée dans les films de science-fiction
De plus, ces flash-back sont symbolisés par le son. On entend alors une musique plutôt disharmonieuse et un grésillement continu et strident comme si on passait un enregistrement (banalement cassette, DVD ou CD) à l’envers. Si ce système a le mérite d’être clair et de permettre au spectateur de comprendre dans quel cadre temporel se déroule l’action, en revanche, il peut sembler trop évident, trop grossier, trop banal, le public pourrait espérer un changement plus subtil. Ce n’est pas vraiment une musique mélodique qui est mise en place dans Rewind, provisoirement mais plutôt un ensemble complexe de sons qui n’est pas sans rappeler Body Building de EricDomenicone (Delphine Bardot a d’ailleurs joué dans les deux pièces, ici, elle avait le rôle de Fleur). Le son est on : il est produit sur scène pendant la pièce par deux musiciens Antoine Arlot et GabFabingquiutilisent la guitare électrique, plusieurs percussions et l’informatique pour créer ce « tapis sonore ». On peut distinguer un ostinato qui semble rythmer le déclin de la mère et qui peut symboliser la monotonie des jours d’attente passés dans cet hôpital. Cet ensemble sonore étrange et déroutant semble représenter la mort, comme si la musique elle-même était défaillante. Ajoutons que des bruits sont utilisés pour rappeler que l’action se déroule dans un hôpital : signal sonore de l’électrocardiogramme marquant les battements du cœur, résonnance des talons comme si quelqu’un marchait dans uncouloir, bruits de la trotteuse d’une montre, symbole du temps qui passe… Ces sons si quotidien bousculent le lecteur qui se demande même s’ils font partie du spectacle ou non. La technique sonore, autant que pour accompagner le texte, est utilisée pour transformer la voix grâce à de micros qui confinent le son et donnent une idée presque de murmure ce qui souligne le caractère confidentiel, intime et personnel du dévoilement face à un proche qui est sur le point de décéder.
Ainsi Rewind, provisoirement est une réflexion sur la mort d’un être cher. Mais le texte et la mise en scène qui exploitent l’effet de distanciation évitent le pathétique qu’on pourrait alors attendre. Spectacle centré sur les relations fraternelles et filiales, la pièce de Benoît Fourchard présente un dévoilement de ses personnages qui pousse le spectateur à se remettre lui-même en question. J’ai trouvé cette pièce intéressante et originale. Intéressante car elle parlait d’un thème universel qui peut toucher chacun et originale car elle mélangeait plusieurs arts : musique et théâtre. J’ai particulièrement apprécié l’utilisation des bruits du quotidien. Malgré tout je n’ai pas été particulièrement touchée par ce spectacle, car le principe de la distanciation a créé une distance trop important entre moi et les personnages ; je préfère me prendre au jeu de l’illusion et me projeter dans les protagonistes. Peut-être que si ç’avait été des enfants qui étaient plongés dans une telle situation je me serais sentie plus concernée par Rewind, provisoirement.
Photos Jacky Joannes
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